Mon choix d'aller vivre et étudier une année en France allait de soi : j'étudiais en littérature, je raffolais de l'accent français (ou plutôt de ses nombreux accents), de la culture, de la musique et de la cuisine françaises, et j'espérais pouvoir m'inscrire à la maîtrise en linguistique à mon retour. J'ai donc passé à Strasbourg l'une des années les plus intenses, rocambolesques, merveilleusement remplies et enrichissantes de ma vie. J'ai appris à repousser les limites de ma patience et de mon lâcher prise grâce à la bureaucratie française. J'ai découvert une ville misant sur la culture et l'ouverture. Et j'ai eu de véritables coups de cœur pour tous ces éléments qui en font sa renommée : l'élégance de sa cathédrale; l'accueil chaleureux et la simplicité des Strasbourgeois; ses spécialités culinaires (ses Flammekueches : des tartes flambées crème fraîche et lardons et ses délicieusement parfaits pains d'épices); les paysages de bord de l'eau (puisque la ville est entourée d'une jolie rivière appelée l'Ill); la magnificence de son marché de Noël (je n'ai sincèrement jamais rien vu de plus beau et féerique!). Strasbourg reste pour moi synonyme de décors absolument paradisiaques. Cette année-là, en plus de tous les apprentissages que j'ai faits, autant au plan académique que personnel, j'ai pu faire une panoplie de voyages avec des personnes formidables et provenant des 4 coins du globe.
Dès mon retour, j'ai complété, en un an, ma maîtrise de type cours en langue française, socioculture et variation linguistique. J'ai alors rédigé un essai intitulé « Incursion du côté des mots à syllabe rédupliquée : Approche lexico-sémantique », sous la direction de Mme Gaétane Dostie. Me sentant incapable d'entrer sur le marché du travail et n'ayant pas encore trouvé exactement ma voie, j'ai entamé une maîtrise, de type recherche cette fois, en études françaises avec un cheminement en linguistique, bien qu'ayant complété la scolarité, je n'ai finalement jamais déposé de projet de mémoire.
J'ai ensuite décidé de m'inscrire à une attestation collégiale en Communication et surdité, programme offert au Cégep du Vieux Montréal et permettant d'apprendre les bases de la langue des signes québécoise (LSQ). Mon objectif était de pouvoir me spécialiser pour travailler avec les enfants sourds oralistes. Ce programme d'études m'a permis de me familiariser avec l'histoire et la culture sourdes, de découvrir une toute nouvelle culture ainsi qu'une nouvelle langue, encore plus belle et plus riche que ce à quoi je m'attendais. Mais ces apprentissages ont aussi été très confrontants et déstabilisants pour moi. Le fait d'être timide et introvertie m'a fait prendre conscience du fait que pour s'exprimer en LSQ, il fallait être à l'aise dans sa peau et utiliser son corps quasi-entier pour communiquer. Plus que de l'apprentissage théorique, les professeurs nous mettaient dans des situations concrètes d'expérimentation dans lesquelles on devait sauter à pieds joints et s'investir physiquement. Ma gêne a pris le dessus et, malheureusement, cette année-là, je ne me suis pas sentie à la hauteur de mes attentes. Néanmoins, cette expérience me confirmait ma volonté de travailler au développement du langage chez des enfants (sourds) ou avec des enfants ayant des troubles de langage.
Avec ma nouvelle attestation en poche, je suis rentrée sur le marché du travail, où on m'a offert un poste comme coordonnatrice aux communications. J'y ai fait de la rédaction, de la révision, de la gestion de site Web, de la promotion d'événements, de la coordination de revues techniques, etc. J'aimais les tâches diversifiées qu'on me confiait, mais je sentais que, émotionnellement, cet emploi ne répondait pas à mes aspirations. Il faut dire que, de nos jours, plusieurs communications passent par les médias sociaux et les Internets… alors que ce que moi je recherchais, c'était les communications humaines et axées sur la relation d'aide.
Après de longues réflexions et quelques années en milieu professionnel, j'ai pensé que c'était l'orthophonie qui était faite pour moi. C'est alors que j'ai amorcé un long, très long processus pour soumettre ma candidature à la maîtrise en orthophonie. Comme les années avaient passé et que je ne répondais plus aux critères d'admissibilité très stricts de la faculté de médecine, je suis retournée sur les bancs d'école pour faire un deuxième bac. Dans le cadre de ce bac multi, je me suis spécialisée en sciences du langage, en travail social et en psychologie. Plusieurs des cours que j'avais faits en linguistique au deuxième cycle ne pouvant m'être crédités, je devais refaire ces mêmes cours au premier cycle. Ainsi, mon refus en orthophonie, des suites d'erreurs et de difficultés bureaucratiques insurmontables, marquait la fin de mon épopée universitaire. Je devais prendre un moment pour digérer cette déception, revoir mes priorités et savoir si j'allais m'investir de nouveau à temps plein dans les études pour soumettre ma candidature l'année suivante ou plutôt me trouver un emploi.
C'est pendant ce processus de réflexion que j'ai eu mon illumination. Pourquoi ne pas créer, sur mesure, l'emploi de mes rêves? Pourquoi ne pas monter mon entreprise, devenir ma propre patronne, choisir mes contrats, clients et élèves, et ainsi avoir un travail qui répondrait en tous points à mes attentes et valeurs?